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Par contre les berbères s'ingéniaient à mettre en valeur leurs coutumes et à se surpasser. La fête pouvait durer une semaine au cours de laquelle plusieurs rituels étaient observés; d'abord, pour préparer la future mariée, la laver, la parfumer, l’habiller, lui teindre les pieds et les mains de henné, puis la faire danser chaque soir en présence de son futur mari qui, de son côté, était soumis à plusieurs préparations.
Le milieu amazigh est très ouvert. Les jeunes époux ont la possibilité de faire connaissance s'ils ne sont pas voisins ou membres d'une même famille, avec le consentement des parents. En général les mères surveillent de près les rencontres secrètes dans les champs, dans les ruelles du ksar, ou au bord de la séguia, où les jeunes filles se rassemblent pour remplir d'eau fraîche leurs cruches, dans un va et vient étourdissant.
Les jeunes peuvent se rencontrer, se parler sans qu'il y ait médisance. Cela fait partie des habitudes des gens depuis la nuit des temps. Mais la fille est avertie qu'elle ne doit rien céder avant le mariage, au risque de couvrir de honte sa famille et de briser son avenir. Quand les jeunes sont d'accord, chacun en fait part à sa famille de manière discrète. Mais il arrive que les parents désignent l'homme ou la fille à épouser; les enfants doivent alors se soumettre.
Dans le ksar de Goulmima, le mariage est célébré sur la place publique ou dans un enclos réservé à ce genre de cérémonies. La danse débute par l'alignement des danseurs face à face. Puis quand les hommes commencent à rythmer leur mouvement, les danseuses désireuses de participer à la danse se positionnent au fur et à mesure entre les hommes. Les jeunes filles et les femmes différenciées par leurs coiffures, doivent choisir l'emplacement idéal pour se positionner. Soit se mettre à côté d'un prétendant, bel homme, ou fils de notable, soit se placer en face de lui pour pouvoir lui sourire ou lui lancer un clin d’œil dans un langage secret presque impossible à décoder pour le non- initié.
Pendant que les hommes jouent du tambourin, et répètent les refrains, les femmes gardent le silence, tout en suivant le mouvement rythmé de la danse. Chacune doit avoir appris dès son jeune âge les gestes et les rythmes à exécuter, avec le risque, en cas de faute, de subir la remontrance des vieilles femmes qui veillent derrière elles à ce qu'elles se maintiennent correctement.
Le spectacle des danses berbères des Aït Morghad de Goulmima, des Aït Atta de Mellab, des Aït Hadidou d'Imilchil, est éblouissant. Mais il faut en connaître les détails, les paroles, le sens des rythmes. La poésie berbère est poésie d'amour. Elle chante l'amour, rien que l’amour.
L'amour est ciselé comme un bijou, caressé comme une eau de source en plein désert. Les paroles jaillissent des entrailles des paroliers, codées ou décodées, pour bénir la circonstance, applaudir l'union des familles, implorer la bénédiction de Dieu, puis virer vers les choses de la vie, le plaisir, la tendresse, la fidélité ; l'amour jusqu'à la fin des temps.
Que reste-t-il de tout cela maintenant ? Presque rien. Les gens se marient toujours. Les mariages n'ont plus le même charme. Les us et coutumes ne sont plus respectés. Lesinéchadens paroliers ont disparu les uns après les autres pour avoir perdu leur vocation. Les habits ne sont plus les mêmes, le pantalon noir dépasse de la jellaba blanche, les cheveux longs ont fait leur apparition, les femmes dansent avec les talons hauts et portent des ceintures en pacotille et de faux bijoux. Bien plus, la vie étant devenue chère, on préfère de simples cérémonies en famille où les femmes dansent entre elles la danse du ventre sur les rythmes des chansons modernes des villes..
De toute manière, l'évolution des mœurs est inéluctable, encore que notre pays ait su préserver ce qui pouvait l'être de nos traditions, notamment la fantasia, la musique, les danses et les chants, la cuisine, l'habillement. C'est peu et beaucoup à la fois.
Même si chaque chose a subi une touche de modernisme, le fond est demeuré intact. On n’a abandonné ni le tajine aux sept légumes ni le couscous aux raisins secs. Nous continuons à préparer notre pain à la campagne comme à la ville. Nous le faisons cuire au four, moderne ou traditionnel, public ou à la maison. Une innovation : le gaz qui a remplacé le charbon. C'est tant mieux pour nos forêts qui commencent à se dépeupler d’arbres. On a même lancé sur le marché des petites bonbonnes de gaz pour faire le thé, le prestigieux thé marocain à la menthe, irremplaçable boisson chaude, qui rafraîchit par sa saveur et par sa magie.
Le sud du Maroc est fascinant. Qui ne l'a pas visité ne peut prétendre connaître le Maroc. C'est que la nature et l’homme se sont donnés la main pour façonner un pays, une nation, en faire, une image, un tableau, une fresque qu'il est difficile de chasser de ses pensées, de sa mémoire, de ses rêves. Il suffit de laisser libre cours à ses pensées et tout revient, le désert avec ses mirages, les casbahs avec leurs créneaux rouge brique, les palmiers bercés par le vent comme dans une danse, l'eau qui coule dans les séguias fraîches, les costumes chatoyants des femmes et les immenses turbans des hommes descendus du Haut Atlas pour faire des emplettes. Le sud c'est l'agitation des hommes et des bêtes, dans la sérénité et l'insouciance, la résignation et la désespérance. Les hommes savent qu'ils ne changeront rien à la vie qui s'imposera inexorablement à eux comme une fatalité.
Le sud, c'est aussi les casbahs, les ksours, les maisons élancées que nos ancêtres ont construits de mains de maîtres. Ces édifices triomphent par la beauté de leur architecture et l'harmonie des couleurs qui se marient parfaitement à celles de la nature. Partout, d’Ouarzazate à Errachidia la main de l'homme a accompli des miracles, à l'image des gravures rupestres qui témoignent d'une science qui n'a pas encore dévoilé tous ses secrets."......
Publié le15/04/11
Extraits de mon ouvrage intitulé "Au service de l'Etat", récit et témoignage, publié aux éditions MARSAM à Rabat en 2005.
Texte revu et corrigé.
Par Mohamed BOUFOUS
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